laudanum est le projet électro de l’artiste français Matthieu Malon qui sortit 3 disques très remarqués entre 2002 et 2009. En 2018, après 10 années d’arrêt du projet, l’envie de collaborer à nouveau avec d’autres voix et de rebrancher les machines renaît. Son 4ème et nouvel album deviendra donc un projet développé en 3 volumes, avec notamment les invités suivants : Jim Johnston (Monk & Canatella), Scott McCloud (Girls Against Boys), Aidan Moffat (Arab Strap), David Best (Fujiya & Miyagi), Pete Astor (The Weather Prophets), Christian Quermalet (The Married Monk), DJ Need (Birdy Nam Nam)…
Entre 1993 et 1994, le réalisateur Polonais Krzystof Kieslowski signait trois films Bleu, Blanc, Rouge, rassemblés en une vraie fausse trilogie dite « des Trois Couleurs ». Les films faisaient écho au drapeau français et développaient chacun une histoire entretenant un rapport ténu aux valeurs de la République. On peut retrouver dans la trilogie laudanum, cette idée de rassembler des propositions qui sont autant d’histoires/chansons différentes et sans lien les unes aux autres autour de « couleurs » et d’émotions-symbole. Le cycle s’organise ainsi autour de trois segments intitulés « as black as my heart », « as red as your lips » et « as blue as my veins » qui évoquent le noir, le rouge et le bleu bien sûr mais aussi des référents organiques (le cœur, les lèvres, les veines) et des émotions liées au désir amoureux. Par-delà l’astuce poétique, on peut s’amuser à tracer ce qui relie ainsi les volumes entre eux.
4:2
« as red as your lips » est le disque du désir et de l’éveil, parfois douloureux, des sens. Plus féminin et soyeux, c’est un disque sensuel qui décrit un amour souvent contrarié et tortueux à l’image du Dark Vision qui ouvre la collection de 9 titres. Alice Hubble et Angela Aux répondent avec un peu de légèreté tubesque à un Aidan Moffat qui livre avec Midlife Crisis in m&s l’un de ses textes les plus émouvants. La musique de laudanum est ici plus délicate, tout en touché. Les sonorités synthétiques font la loi mais dans un registre plus clair et qui inspire une sorte de confort intérieur, en même temps qu’une aspiration à une forme d’élévation. To The Lighthouse symbolise ce mouvement ascendant et renvoie au roman de Virginia Woolf. On accède à une grâce consolatrice avec le beau Only You Can Turn My Bitter Into Sweet interprété par David Best si bien que la dispute épique finale (The Argument Song) ne parvient pas tout à fait à gâcher la fête et l’allégresse relative qu’inspire l’écoute de ce deuxième disque. laudanum caresse mais on sent que l’amour a vu plus de films de Lynch que de Capra.
De par le nombre de personnalités, chaque morceau composé par laudanum a sa couleur: pop, électro, trip hop, rock indé, tout en gardant une unité de style à travers le son électro. On n’est pas dans une compilation. Red est moins cinématique que la partie Black. De par sa couleur, les morceaux sont plus solaires, plus pop que la face Black…la couleur rouge se marie très bien avec la musique de laudanum.
Paskal LARSEN Le Blog
Sur As Red As Your Lips, on retrouve comme sur le précédent quelques artistes de haut rang qu’on peut adorer par ailleurs : Moffat donc, échappé de ses Arab Strap, mais aussi à l’ouverture un Nolto qui chante presque à contre-emploi (plus noir, plus dur) de son récent disque Make Up Tutorial Song, ou encore Angela Aux, Chloé Saint-Liphard et Alice Hubble. Mais on se fout paradoxalement du casting tant le résultat est époustouflant de densité et de force… As Red As Your Lips est un disque sacrément fort, dense et à l’amplitude formidable. C’est un album qui a l’électronique indocile, remuante et parfois âpre. Le disque rouge est un disque de tourments, de passion et de mal-être dans lequel on peut s’immerger pour se donner des frissons et volontairement brouiller ses repères au réel, à l’âge et à l’inframonde des sentiments.
SUN BURNS OUT
Au mois de septembre dernier, Matthieu Malon aka Laudanum publiait As black as my heart album qui fait partie d’une trilogie. Voici le second volume titré As red as your lips. Dans ma chronique du premier volume, je fais une petite présentation (1). Une des particularités de la trilogie, est que dans chaque album il y a une pléiade d’invités. Pour la partie Red, Matthieu Malon est entouré de Nolto, DJ Need, Alice Hubble, Aidan Moffat (Arab Strap), Angela Aux (Midnight Embassy), Chloé Saint-Liphard (Collection D’Arnell-Andrea) et David Best (moitié du duo Fujiya & Miyagi), soit une belle brochette d’artistes du milieu indé (rock et électro). De par le nombre de personnalités, chaque morceau composé par Laudanum a sa couleur: pop, électro, trip hop, rock indé, tout en gardant une unité de style à travers le son électro. On n’est pas dans une compilation. Red est moins cinématique que la partie Black. De par sa couleur, les morceaux sont plus solaires, plus pop que la face Black. Même le morceau To the lighhouse avec au chant Chloé Saint-Liphard du groupe new-dark wave Collection D’Arnell-Andrea possède une patine pop aérienne positive des plus agréable à écouter. Et juste après, entendre le phrasé parlé de David Best (stylé Bertrand Sumner de New Order ou David Sylvian ex Japan) sur les nappes synthétiques, teintées d’Orient de Laudanum est un pur bonheur. Bref la couleur rouge se marie très bien avec la musique de Laudanum. En janvier 2024, fin de la trilogie avec As blue as my veins.
PASKAL LARSEN
Au risque de vexer Matthieu Malon, le patron de Laudanum, on doit admettre que l’écoute attentive de As Red As Your Lips, le deuxième de sa trilogie du retour (il reste un volume à découvrir… le bleu dont on ne dira rien aujourd’hui), nous a amené à ajuster notre jugement, toujours flatteur et empli de louanges, sur As Black As My Heart, le volume Noir, dont on avait dit le plus grand bien à sa sortie. As Red As Your Lips est un poil meilleur que celui-là et pas uniquement parce qu’il est sublimé par la présence en plage 3 (Midlife Crisis in M&S) d’un Aidan Moffat, dont on a déjà parlé et qui suffit à lui seul pour changer ce disque en album événement.
Si l’on a une petite préférence pour cet album rouge (chez Kieslowski on avait préféré le Bleu sans contestation possible), c’est parce qu’il est plus dark, plus typé électro-gothique que le précédent, froid comme la classe et probablement aussi un peu plus homogène. S’agissant d’albums collaboratifs, on peut évidemment prendre les titres un à un pour les considérer comme autant de prestations individuelles, artificiellement mises bout à bout par l’auteur. Mais Laudanum propose tout autre chose depuis le début : une atmosphère, une ambiance tenue de titre en titre et qui « varie » bien sûr en fonction des orientations prises ou commandées par la musique et la présence au chant de telle ou tel chanteur/chanteuse, mais qui à elle seule justifie le disque.
Sur As Red As Your Lips, on retrouve comme sur le précédent quelques artistes de haut rang qu’on peut adorer par ailleurs : Moffat donc, échappé de ses Arab Strap, mais aussi à l’ouverture un Nolto qui chante presque à contre-emploi (plus noir, plus dur) de son récent disque Make Up Tutorial Song, ou encore Angela Aux, Chloé Saint-Liphard et Alice Hubble. Mais on se fout paradoxalement du casting tant le résultat est époustouflant de densité et de force.
Il y a un côté old-school, rigoureux, moral, ligne claire du synthé et dark qui s’impose d’emblée et qui sort ce projet de toute référence à la modernité. Dark Vision installe un climat anxiogène, perturbant et à la limite de l’occultisme. Complicit, le titre qui suit, est l’un des meilleurs du disque, assis sur une progression au synthé remarquable. La voix d’Alice Hubble, légèrement nasillarde mais aussi sensuelle et pleine d’étrangeté, joue, en fonction de l’accompagnement, entre les plans pour distiller ce qui s’apparente à une potion ou un philtre. Il y a une ambiance Dark Ages (Moyen-Age), alchimique, qui règne sur cette ouverture et que Moffat va projeter de façon spectaculaire dans le quotidien contemporain d’un supermarché, en nous offrant ici un superbe portrait caché du musicien en vieil homme, sous le couvert d’un vrai faux portrait de femme (la Marina de la chanson).
Cette chanson prolonge le jeu de miroirs qui est la caractéristique de ce disque qui, sur chaque morceau, semble pointer quelque chose de précis alors que sa vérité (celle de la musique, celle du texte) est ailleurs. As Red As Your Lips est un faux disque sur l’amour. Le thème principal est plus probablement le temps, la manière dont les genres évoluent et survivent en se transformant. The So-Called Past est une sorte de tube synt-pop échappé d’une autre époque. On pense à nos chouchous de Plastic Operator, mais aussi probablement dans la mythologie de Malon à un écho, une réplique de New Order, « revisitée » comme on se referait la blanquette en quart de finale de Top Chef.
Avec Someone, Laudanum déplie devant nous son ADN : un sample, orchestré, vertigineux, hermétique. C’est la hauteur qui compte, la force, le souffle. On ressent le vent synthétique qui nous ébouriffe les cheveux et l’électricité qui nous court entre les doigts. La boucle est organique, elle pèse et c’est tout. As Red As Your Lips, le morceau, ne dure qu’une minute et quelques, mais a le charme et le mystère d’un EVP. Ce sont les machines d’hier et d’aujourd’hui qui nous parlent. Laudanum leur donne la parole et elles n’ont pas besoin de lui. Ce sont elles qui lui offrent sur un plateau la rythmique ultra-simple mais à l’élégance redoutable qui soutient un To The Lighthouse, qui est avec le titre de Moffat, l’autre sommet du disque. Les deux se répondent : homme/femme. L’homme est terrestre, pesant. Chloé Saint-Liphard s’échappe au large, du haut de son phare piqué à Virginia Woolf. Les rôles sont archétypaux, presque hérités de l’Antiquité : terre/mer, guerrier/déesse. Mais l’exécution est parfaite, presque héroïque comme on l’emploie dans le champ classique pour désigner l’association d’un son épique et d’une voix sensible. Le final, Argument song, est tout aussi pertinent et incisif. Ca s’engueule, ça se hurle dessus : symbôle d’un présent heurté, d’une passion à vif et d’un frottement entre les mondes, les sexes qui ne se fait pas sans frais.
As Red As Your Lips est un disque sacrément fort, dense et à l’amplitude formidable. C’est un album qui a l’électronique indocile, remuante et parfois âpre. Le disque rouge est un disque de tourments, de passion et de mal-être dans lequel on peut s’immerger pour se donner des frissons et volontairement brouiller ses repères au réel, à l’âge et à l’inframonde des sentiments.
Benjamin Berton
le titre “dark vision” de laudanum parmi “les pépites” en playlist des nouveautés de la semaine du 17 Novembre pour les Inrocks !
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