L’E.P. digital Between Shadows est une sorte d’écho, de contre-partie, à Phantom Solids, il résonne comme son autre, en étant un fantôme du fantôme. Le but de ce couple, quelque peu curieux, est de revenir vers la lumière à l’image de la magnifique photo de Jānis Vēliņš. Ces deux premiers morceaux acoustiques reprennent les mêmes textures que dans Switch the Letters mais Lunt tenait justement à ce qu’il n’y ait pas de redite ou un mélange des genres incongru au sein du même album. Chacune des deux entités a donc son identité propre et elles se regardent en miroir.
Neurotic Weakness parle, d’une autre manière, du même phénomène et de la même personne que Your ghosts. Il s’agit du versant tendre et bienveillant qui veut contenir des cauchemars et des fantômes en vain. Le glockenspiel y a une place prépondérante et on retrouve la présence de Jérôme Gillet qui ponctue la chanson avec un saxophone West Coast (on le cite) là où il propageait un bruit mystique et furieux dans An untitled end, eventually.
Après ce contenant plein de rondeur vient le récit d’une transformation et d’une création qui est ce morceau au titre Letton : Pasaules radīšana. Il s’agit d’un mythe de la création du monde durant lequel le diable aurait créé les montagnes : elles sont très peu présentes en Lettonie, ou bien ressemblent à de petites collines. Quel contraste en comparaison des Pyrénées d’où est originaire Gilles ! A l’origine, il avait demandé à sa femme lettone Māra d’enregistrer une lecture de ce texte en ayant l’intention de l’inclure dans It started with a climax. Lunt s’est rapidement aperçu que cela ne marchait pas mais l’essai dans le morceau intitulé The Soufi fonctionna immédiatement. Il est de coutume d’expliquer que les langues Baltes (Prussien, Lituanien, Letton) sont les langues les plus proches de l’Indo- européen et qu’elles ont même quelques racines en commun avec le Sanscrit. Cela ne serait donc pas un hasard si ces sonorités d’Asie centrale fantasmées, crées par un accordage de guitare non-standard post-punk, se marient si bien avec ce phrasé qui, comme souvent avec le Letton, donne à l’artiste l’impression d’une présence archaïque dans l’ordinaire du présent. Le son de cette langue qui l’a accueillie (il y habite désormais) comporte sans conteste la potentialité permanente d’une musicalité. Gilles ne nie pas non plus l’influence psychédélique du Beta Band déjà présente dans Golden House (sur son album Switch the letters).
Take Shelter opère une rupture sur la fin du E.P de même que An untitled end, eventually vient rompre avec l’ensemble de Phantom solids : il remet de l’électricité et de l’inquiétude là où les guitares acoustiques avaient dessiné un possible contenant. La rupture ne se fait que sur cette forme apparente car pourquoi faire le chemin vers un nouveau pays sinon pour trouver un refuge face au bruit du monde ? Et, à l’aube d’une nouvelle vie, la lumière surgit derrière les nuages.