Cela fait maintenant plus de 6 mois que ton dernier album est sortis, quel bilan en tires-tu ?
C’est assez catastrophique… selon les attentes que nous en avions. C’est d’ailleurs la première leçon de cette aventure : il vaut mieux ne rien attendre. Cela étant dit, c’est assez normal d’attendre quelque chose : près de trois ans de travail et d’engagements se retrouvent soudain exposés, et leur destin scellé en quelques jours… C’est le jeu. C’est comme ça. Beaucoup de malentendus. J’ai fais de mauvais choix.
Pourtant Le Jour La Nuit Le Jour est sans doute mon meilleur album depuis Esprit de Conquête. Il forme un tout, comme un film. La réalisation de Jean-Philippe Hauray est somptueuse, délicate… Mais c’est sûrement un album d’un autre temps, d’une autre époque. Je ne sais pas. Je m’y prendrai sans doute totalement différemment pour la suite. Quelque part je me sens libéré, même si je ne sais pas encore bien quoi faire de cette liberté…
Que pensez-tu de l’accueil (critique/public/professionnels ) qu’a reçu le disque ?
C’est comme s’il n’était jamais sorti. Le succès des précédents albums nous avait pris par surprise. Je m’y étais un peu fait. C’est une très mauvaise habitude. C’est la deuxième leçon, en somme… J’ai l’impression qu’il me faut tout reprendre à zéro, et c’est sans doute une grande chance.
La plus grande satisfaction ? La plus grosse déception ?
La plus grande satisfaction est ce riff de guitare sur Vies Distraites. La plus grosse déception est que pas grand monde ne semble l’avoir entendu, ou alors je suis le seul à trouver que c’est pas mal…
On connait tous les difficultés actuelles pour un artiste émergeant pour se produire en concert, surtout pendant et après la période pandémique du covid 19. Où en es-tu de ce côté là ?
Dire que ma quasi absence des plateaux serait dû à la période Covid serait me mentir… Je ne suis pas certain d’avoir jamais trouvé une incarnation scénique satisfaisante. Parfois je veux jouer en groupe, parfois tout seul. Comme la période se durcit, se resserre, je sais que je suis bon pour jouer solo pendant un moment… Mais ça m’emmerde que ce soit pour des raisons économiques. Alors je me dis qu’il me faut remonter un groupe, pour vraiment donner toutes les couleurs, toutes ses chances à ma musique. Il y a un côté un peu déprimant à s’imaginer seul sur scène avec sa guitare. Utiliser des boucles m’ennuie. À vrai dire, tout ça m’emmerde. Le monde est devenu une vaste plaine d’ennui. Je crois que dans l’histoire de l’humanité, on s’est rarement autant fait chier. Alors pourquoi me presser à remonter sur scène si c’est encore pour m’entendre dire que c’est dommage que je ne fasse pas du rock’n’roll, du rap ou de l’afro-beat ?… Je préfère jouer du piano tout seul quand le bar du village est fermé, ou chanter à l’église le matin, quand il n’y a personne. C’est ma pratique quotidienne. Parfois quelqu’un s’assoie et écoute. Et puis il s’en va sans qu’on se parle. Je n’ai jamais trop cru à l’échange avec le public, la fameuse osmose. C’est un truc d’action culturelle. L’échange se fait ou ne se fait pas. C’est un deal. La seule chose importante est de prendre du plaisir, et d’être à ce qu’on fait.
Tes projets actuels ? Des envies particulières ?
Je me suis fait une image très négative de comment j’ai vécu le confinement. Quand j’en parle, j’ai l’impression que j’ai juste passé mon temps à me lamenter et gémir, d’être resté assis sur mon lit à attendre que quelque chose se passe. Or j’ai récemment découvert sur un disque dur tout un tas de petites pièces instrumentales enregistrées durant cette période… Je pense que je vais me concentrer là-dessus, dans un premier temps.
J’essaie de me retenir de partir sur l’écriture et l’enregistrement d’un nouvel album. J’ai encore deux ou trois choses à essayer de comprendre, et à me refaire un peu de trésorerie… Ou bien je m’en fous et je me relance, et je bidouille mon truc en transe dans mon atelier, comme j’aime faire.
Comment envisages-tu la suite à cet album ?
Je prépare un programme en solo qui porte le nom de l’album, avec des lumières tamisées, et sans doute quelques vidéos projetées, des choses très abstraites. Mais je rêve aussi de monter un groupe de blues. Je suis en attente de correspondance. Le train n’est pas en vue, mais je sens les rails vibrer.
Titre par Titre, par son auteur
Retrouvez ci-dessous un joli titre par titre de l’album le jour la nuit le jour écrit par Thomas pour la promotion du disque, ainsi que l’histoire autour de la composition et l’enregistrement de cet album.
Vies Distraites
Nous sommes inégaux. C’est comme ça. Certains se noient dans un dés à coudre. D’autres surfent sur la vie avec cool et élégance. La plupart travaille dur. Parfois on a beaucoup de chance. On ne peut pas toujours compter dessus. Comme le dit Jean-Claude Izzo : « La vie c’est comme la vérité : on prend ce qu’on y trouve, on trouve souvent ce qu’on y a donné. »
Le gimmick à la guitare, c’est Jean-Philippe qui l’a trouvé, par hasard, en jouant sur la chanson. C’est mon Daniel Lanois à moi. Le chant est une sorte d’oraison, de mantra, de mémento mori. C’est aussi un appel à prendre le large. Ce n’est pas incompatible.
À l’Ananas Café
Un jour, déambulant dans Oloron-Sainte-Marie, j’ai découvert la façade de l’Ananas Café. Le bar était fermé depuis longtemps. J’ai pris sa devanture en photo et suis rentré chez moi avant le couvre-feu, le pays était encore sous cloche à cause de l’épidémie. Quelques semaines avant d’aller en studio, je suis retombé sur la photographie, et tout est arrivé d’un seul coup, la mélodie, les personnages, le bar. Mais c’est bien plus tard, en réécoutant les prises au mixage, que je me suis rendu compte que la chanson parlait de fantômes, et que les fantômes étaient dans la chanson.
Le Monde Sauvage
J’ai vu un soir dans le regard de quelqu’un une lueur que j’aurais préféré ne jamais voir. J’ai su à cet instant que tout était possible. Que cette personne était capable de tout mettre à sac, de mettre le feu à la ville, pour obtenir ce qu’elle désirait. Elle semblait croire que c’était moi. Je pense qu’il s’agissait de quelque chose d’autre, et c’était effrayant.
Le Yin et le Yang
Il y a au fond de nous un feu de camp. J’aime à croire que certaines nuits, un genre de ranger solitaire s’y réchauffe les mains, fume une pipe en regardant les flammes, cherchant à mesurer les énigmes qu’il y voit tandis qu’Eros et Thanatos dansent dans les ombres projetées sous la frondaison des pins ponderosa.
Pour Une Fille
J’ai un peu piqué l’amorce à un poème de Leonard Cohen. Le reste de la chanson est venu tout seul. C’était comme tirer un fil. Je l’ai chanté en concert deux jours après, sans trembler. Je ne retrouverai jamais cette sensation.
Qu’attends-tu de moi
J’ai toujours aimé les chansons à adresse, comme une lettre que l’on écrit à quelqu’un. J’aime quand le doute plane sur l’entité à laquelle on s’adresse. Je me suis d’abord adressé à quelqu’un, sans vraiment penser à quelqu’un de particulier (bien que j’avais deux ou trois pistes…), puis j’ai cru que la chanson s’adressait à moi, avant de me rendre compte qu’elle pouvait tout-à-fait s’adresser à quelqu’un dont l’incarnation n’est pas terrestre, dirons-nous.
Je ne suis pas croyant. Certains de mes amis le sont. Parfois je les envie.
Où M’emmènes-tu
J’ai appris la mort d’un copain, Pierrot Pépin, trompettiste à l’énergie folle, au moment même où j’étais à ma table, en train d’écrire cette chanson. Elle a tout-à-coup prit une dimension inattendue.
Le Jour La Nuit Le Jour
J’ai emprunté ce vers à un poème de Louise Bourgeois. « Qui a fait le jour ? Qui a fait la nuit ? » J’ai trouvé cette question candide, comme une question d’enfant. Et en même temps, elle m’a bouleversé.
J’écoute beaucoup Robert Johnson, Townes Van Zandt, Bob Dylan, et me demande toujours comment adapter ce folk-singing en français sans que cela fasse carton-pâte.
J’ai trouvé que « Chaque porte que j’ouvre donne sur un mur », ça sonnait assez blues, quand même. Et il se trouve que c’est souvent vrai.
Les Travers
Plateau du Larzac, été 2025. Plus d’eau nulle part. Une camionnette croisée, à l’aube. La carte n’est pas juste, et les routes semblent se déplacer comme des mirages. Le jour est déjà en feu. Aucun recours, aucun repli.
Dans la vie, il n’y a pas de période d’essai. Et pourtant, il faut continuer.
L’histoire du disque
Le Jour La Nuit Le Jour a été écrit à Albi et en vallée d’Aspe, où je me suis installé l’année dernière.
Quand j’ai rencontré Jean-Philippe Hauray, le producteur artistique, j’avais un tout autre album en tête. Mais les chansons commençaient à dater, les musiciens étaient difficiles à réunir en studio. L’épidémie est venue percuter tout ça. Jean-Philippe m’a proposé que nous nous isolions durant trois semaines dans une maison de famille à Jard-Sur-Mer. Il avait justement passé tout son confinement à fabriquer et restaurer du matériel d’enregistrement pour se faire un studio mobile. Nous avons tout déplacé et installé dans sa maison, et nous sommes entourés de tous les micros et instruments que nous pouvions emprunter…
J’avais déjà quelques chansons un peu électro de poche qui s’adaptaient tout à fait à cette nouvelle configuration. Les autres sont venues toutes seules en attendant l’enregistrement. J’ai même terminé quelques paroles sur place, juste avant les prises, après de longues marches dans les lotissements balnéaires, entre deux couvre-feux.
Nous avons fabriqué tout cet album à quatre mains, parfois à partir de démos réalisées chez moi, et ce avant que Mathis Kolkoz ne nous rejoigne au cours d’une seconde session quelques mois plus tard, nous apportant non seulement un regard extérieur relativement indispensable à notre tête-à-tête (au bout de trois semaines à deux, on « n’entend » plus rien…), mais aussi intervenant dans les arrangements avec des propositions aussi pertinentes que radicales. Mathis a parfaitement saisi ce que nous construisions. Il nous a aidé à pousser notre univers encore plus loin.
Dans Ruines Nouvelles, mon album précédent, Le Flegmatic commençait déjà sa mue de chanteur au second degré en chroniqueur inquiet mais impassible d’un monde en ruines. Le Jour La Nuit Le Jour poursuit cette métamorphose avec une production artistique plus poussée et définie, fruit d’une intense collaboration avec Jean-Philippe, en amont de l’enregistrement comme durant les prises et le mixage. Une collaboration pimentée par des surprises, des doutes, des retours en arrière, des effacements… L’album nous est apparu au fur et à mesure que nous le faisions.
Thomas Boudineau